20.5.09

Hamidou Diop, le prochain épisode surprise

Hubert Aquin nous a légué des romans parmi les plus riches et novateurs de la littérature québécoise : L’Invention de la mort, Prochain Épisode, L’Antiphonaire, Neige Noire, entre autres. Mais il ne devait sûrement pas penser que sa légende se poursuivrait dans une bande dessinée!

C’est le pari qu’ont pris Simon Bossé et Éric Simon lorsqu’ils ont écrit Hamidou Diop, une bande dessinée publiée chez Mécanique générale (mais ce semble être sur le site de Front Froid que ça se passe vraiment...). Hamidou Diop, c’est l’agent secret wolof qu’Hubert Aquin laisse en plan dans un hôtel, près du lac Léman, en Suisse, dans le roman qui l’a fait connaître, Prochain Épisode.

Hamidou Diop, c’est en quelque sorte ce «prochain épisode». L’esprit paranoïaque d’Aquin y est superbement repris par Éric Simon, alors que le personnage principal de la bande dessinée, monsieur Haberstich, puis Patrick Burns, puis à la toute fin de la B.D., H. de Heutz, agent de la GRC ayant pour couverture un poste de professeur à l’Univesité de Bâle, est sommé par la Source de retrouver Hamidou Diop, dissipé dans la brume de la Suisse alémanique. Mais rapidement, Haberstich/H. de Heutz s’imagine que c’est Hamidou qui le pourchasse, et qu’il est maintenant la proie de l’espion wolof.

S’ensuivent une série de scénettes où Haberstich enchaîne combines et stratagèmes pour éviter ses ennemis imaginaires, tandis que la Source, sur laquelle il compte, disparaît et l’abandonne.

Le paroxysme de la paranoïa se dévoile lorsque le Haberstich/Patrick Burnes/H. de Heutz ressasse un épisode qui lui est arrivé 20 ans plus tôt, à Varsovie :

« Je me remémorai alors cet épisode survenu vingt ans plus tôt à Varsovie, alors qu’il m’arrivait régulièrement de découvrir de singuliers messages autour de ma porte au retour de mes après-midi de surveillance à l’ambassade américaine. À cette époque, le quartier était la proie d’un gang de voleurs fort bien organisés. Des guetteurs surveillaient discrètement nos moindres allées et venues. Armés d’une craie, ils recouvraient les chambranles des entrées de signes occultes indiquant à leurs collègues que la voie était libre ou qu’au contraire les occupants étaient de retour. La consigne suggérée par les forces policières de Varsovie était élémentaire : effacer du revers de la main, en franchissant le seuil de la maison, toutes ces traces éphémères afin de brouiller les communications. Fasciné par ce système d’une effarante efficacité, j’avais tout de même opté pour une solution plus «expérimentale». En rentrant chez moi le soir, j’entrepris de modifier systématiquement les signes qui entouraient ma porte d’entrée, en supprimant certains pour les remplacer par d’autres de mon cru.

La première nuit, je dormis très peu, à l’affût du moindre bruit suspect. Je me rendis à la fenêtre à trois reprises, chaque fois pour des fêtards éméchés. Je finis par trouver le sommeil. Au matin, je me précipitai au-dehors pour constater l’effet de ma démarche. Certains tracés subsistaient, d’autres avaient disparu, quelques signes encore avaient été ajoutés. Et je n’avais pas été cambriolé. Ce incident marqua le début d’une longue correspondance en symboles indéchiffrables à laquelle je participai pendant plusieurs mois sans jamais en saisir le sens.»

Jeu de pistes, pistes qui ne mènent nulle part, guet-apens, coups de téléphone dans la nuit composent cette bande dessinée délicieuse que je suggère à tous les fans d’Hubert Aquin et de son esprit brillant qui lui a joué des tours à quelques reprises…

Mais le pessimisme d’Aquin («Cuba coule en flamme au fond du lac Léman pendant que je descends au fond des choses) cède la place à des pensées plus sereines («Je rêve d’une retraite paisible au bord d’un lac.») et l’amour pour K, cette femme hors d’atteinte dont le narrateur de Prochain épisode est amoureux, se résume, dans Hamidou Diop, à une seule page où Haberstich reçoit une missive féminine.

La clé de cette B.D. d’espionnage, tout comme celle de Prochain épisode, se trouve dans le déchiffrement, «relativement facile» de «cet amas informe de lettres majuscules écrites sans espacement : CINBEUPERFLEUDIARUNCOBESCUBEREBESCUAZURANOCTIVAGUS.»

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