Donc vendredi dernier, Nael et Charles-Éric Blais-Poulin m'ont posé quelques questions sur mon travail, la twittérature, l'avenir du livre. Le reportage sera en ligne le 1er novembre et vous pourrez voter! S'agira de se rendre sur le site Web du Triathlon du français, les indications devraient être claires ;-)
Voici les questions préparatoires que l'équipe m'avaient envoyées, et mes réponses. Les Traits d'union ont aussi une page Facebook.
Q1. Est ce que les contraintes d'écriture sur Twitter ne réduisent pas forcément la qualité de tout ce qu'on peut écrire dessus? (Exemple twittérature, twit-poésie, etc.).
En fait, l’écriture à contrainte à travers Twitter n’est qu’une extension du roman par texto. Au Japon, en 2007, 5 des 10 best sellers les plus vendus avaient été écrits originellement sur des cellulaires (appelés des keitai shosetsu), puis republiés par des éditeurs audacieux. Ces histoires sont souvent très directes, sans développement de personnages, et s’adressent aux adolescents et aux jeunes adultes. N’empêche, lorsqu’on réussit à vendre 400 000 copies d’un livre, comme ce fut le cas pour Rin, qui a écrit « If you », on ne peut pas dire que ce succès soit le fruit du hasard. L’auteur a visiblement trouvé une corde sensible pour émouvoir un certain public.
Quant à savoir si c’est de la grande littérature, ce n’est pas à moi de juger (je ne l’ai pas lu non plus), je ne suis pas critique, mais comme le disait le titre d’un album d’Elvis, 50 Million People Can’t Be Wrong. On assiste peut-être simplement à un phénomène éphémère, mais une chose est certaine, la technologie a permis à des auteurs de d'utiliser autre chose que la dactylo, le papier et l’ordinateur. On peut maintenant écrire sur autre chose et par conséquence, trouver d’autres façons de rejoindre des lecteurs.
Par exemple, Thierry Crouzet a écrit Croisade, un twiller, soit la contraction des mots Twitter et thriller. Croisade a été écrit sur Twitter sous la forme de texto, donc dans l’immédiateté. En gros, c’est un thriller un peu à la Dan Brown, mais bourré de références technologiques et aussi… de références religieuses, comme une immense croisade techno. Mais à la différence des keitai shosetsu, le public interagissait avec l’auteur, suggérait des pistes, indiquait à l’auteur lorsque l’histoire dérapait ou manquait de réalisme. On parle donc d’utiliser le public cible en tant que comité de lecture, ou presque. Ça c’est nouveau et ça mérite qu’on s’y intéresse, pas simplement parce que c’est nouveau, mais parce que ça modifie la relation entre l’auteur et son lectorat.
En termes de qualité, les contraintes d’écriture ne sont pas nouvelles. On a qu’à penser aux formes versifiées de poésie comme l’alexandrin. Des pièces de théâtre entière ont été écrites en alexandrins sans pour autant qu’on ne remette en cause leur qualité parce que s’était versifié. Comme pour tout art, il y a du bon et du moins bon dans la littérature sur médias sociaux. Il y a de très bons films qui coûtent très peu à réaliser, et des navets qui coûtent des millions. C’est pareil pour les livres, les livres numériques et les œuvres de micro-fiction écrites par l’entremise de Twitter ou Facebook.
Q2. Qu'est-ce que l'écriture sur les médias sociaux apporte de plus? Et, par comparaison, est-ce qu'on a trouvé un remplaçant au livre?
L’écriture en tant que tel sur les médias sociaux n’apporte rien de plus, ce n’est que du texte sur un autre média que du papier. C’est la relation avec le lectorat qui en est transformé. Il faut se rappeler que le premier média social, c’est le blogue. Cela fait plus de 10 ans que les blogues existent et qu’ils permettent cette interrelation avec les internautes, et cette interrelation, ces affinités, se sont développés en contact avec les médias sociaux que nous connaissons aujourd’hui, comme Facebook et Twitter. L’écriture sur les médias sociaux permet à des univers qui s’ignorent de se rencontrer l’espace d’un hyperlien. Un « salut », ou un « j’aime ce que tu écris » suffisent souvent pour développer une relation avec un autre auteur ou un fan.
Mais on est loin d’avoir trouvé un autre média capable de remplacer le livre. Je suis convaincu que le livre tel qu’on le connaît a encore un certain avenir, mais il est vrai qu’il est constamment mis en compétition avec des médias plus interactifs, qui mettent l’accent sur le mouvement, l’image, qui sont plus faciles à consommer. Un livre, ça prend du temps, c’est presque anachronique au XXIe siècle. Qui a le temps de lire Thomas Pynchon ou Mark Z. Danielewski ou Don DeLillo? C’est Mathieu Arsenault qui en parlait sur son blogue. Pourtant, c’est la crème des auteurs américains des dernières 50 années, mais ils nous proposent des briques de plusieurs centaines de pages, voire un millier, des univers fascinants mais c’est difficile d’y plonger. Pensons à Roberto Bolano qui nous a laissé 2666 avant de mourir, un pavé de plus 1000 pages qui fait 1,2 kilo. Ces œuvres sont incontournables en littérature mais elles sont en concurrence avec des œuvres plus adaptés à la rapidité de notre époque. Danielewski est en train d’écrire un opus de 27 volumes qui s’appellera The Familiar. Les 5 premiers volumes ont été livrés à l’éditeur sur deux iPads. On s’éloigne un peu des médias sociaux, mais n’empêche que les tablettes, elles aussi, proposeront sûrement d’autres moyens de se cultiver. Est-ce que The Familiar sera un livre augmenté, ou enhanced book comme disent les anglais, avec interaction, suite de l’histoire sur le Web, jeu vidéo inspiré du livre? Le livre se transforme, on est dans une époque très excitante, et les nouvelles technologies, incluant les médias sociaux, participent de ce changement. Et la seule façon de savoir que Danielewski écrit sur un iPad, c’est sur son Twitter, sur son forum et son Facebook.
Si on a trouvé un remplacement pour le livre, c’est peut-être le livre électronique. Pour l’instant, c’est marginal, mais les chiffres de ventes de liseuses et de livres électroniques augmentent tous les ans, alors que la vente de livres chute depuis au moins 3 ans. Les contenus publiés en feuilleton, comme les écrivaient Dickens, Dumas et Balzac, semblent aussi populaires. Les chapitres sont courts et se lisent en une seule lecture, et on attend la suite… parfois trop patiemment. Lorsque j’ai publié chez Robert ne veut pas lire, c’est un peu ce qui est arrivé. L’éditeur publiait par feuilleton, mais certains auteurs ne fournissaient pas le matériel très rapidement, ce qui lésait le lecteur dans son désir de connaître la suite de l’histoire. Heureusement dans mon cas, j’avais soumis le manuscrit complet et l’éditeur a décidé de publier par feuilleton, ce qui était une bonne idée, et les ventes ont été bonnes. Et avec l’arrivée des tablettes et des fonctions de partage dans les liseuses, où on peut partager un passage d’un livre qu’on aime directement de la liseuse vers Facebook ou Twitter, on se dirige vers la lecture sociale. Et on ne sait pas ce que nous réserve l’avenir. Mais une chose est certaine, si les éditeurs ne font pas preuve d’innovation et d’ouverture d’esprit – car c’est une industrie très conservatrice, avec ses canons – on devra dire adieu à certains d’entre eux, et de nouveaux joueurs se joindront à la course effrénée vers la culture. Mais on n’en est pas encore là, les éditeurs peuvent prendre leur temps, mais pas trop non plus ;-)
Q3. Les médias sociaux apparaissent aussi vite qu'ils s'éteignent. Est-ce que la twittérature est vouée à disparaître (ou peut-être à évoluer) ?
La twittérature, c’est péjoratif. Je ne me qualifierai jamais de twittérateur, j’écris et je choisis, parfois, d’utiliser les médias sociaux pour publier ce que j’écris, c’est très différent. La twittérature en tant que genre, ça n’existe pas. (MAJ: Après l'entrevue j'ai appris qu'il existait un Institut de Twittérature comparée, j'en étais bouche bée. Ceux qui suivent un peu Twitter reconnaîtront deux joueurs assez actifs: Jean-Michel Le Blanc et Strofka, entre autres, parmi les participants). Plein d’auteurs ont tenté l’expérience, et la plupart a abandonné parce que l’écriture est question de discipline. Il faut écrire tous les jours et dès qu’on arrête, c’est difficile de recommencer. Je ne connais que deux auteurs francophones qui ont terminé un twitteroman, soit Thierry Crouzet et Laurent Zavack. Laurent est un des premiers à avoir utilisé Twitter, son blogue et Facebook pour écrire son histoire, c’est assez rocambolesque et divertissant, mais c’est aussi difficile de s’y retrouver.
J’ai tenté de faire un projet similaire à 8 mains appelé Kaosopolis. Il y a un blogue principal ainsi que le blogue des 4 auteurs qui participent. Chaque auteur écrit une histoire indépendante des autres, mais le temps d’un hyperlien, on bascule dans l’autre histoire. Certains personnages participent à plus d’une histoire parce qu’un auteur a décidé d’intégrer ce personnage, qui ne lui appartenait pas, à son histoire. C’est très amusant, c’est une expérience, et heureusement, un des participants continue à alimenter l’histoire, celle de Ma Vie à N.D.Lay, mais pour ma part, j’ai mis de côté Kaosopolis pour me concentrer sur quelque chose de moins expérimental pour le moment.