Un soir sans poésie – ou si peu
Avertissement: Ce texte, subjectif s'il en est, pourrait écorcher les fans du Télé Journal qui voient en le slam un moyen d'expier tous les maux sociétaux: Afghanistan, Irak, Conservateurs, coupure dans la culture, et autres éphémérides d'actualité.
Pourtant, s'il y a un slameur à Québec qui s'est joué (ou a joué avec) des thèmes «engageants» (écologie, média, pédophilie), c'est bien moi.
Mais dimanche soir, lors de la première partie du Grand Slam à Montréal, la plus grande perdante n'aura pas été Annie Beaulac, qui n'a jamais reçu d'aussi mauvaises notes que dimanche au Lion d'Or. Le plus grand
loser, non plus, n'aura pas été votre tout dévoué, qui a mérité une belle leçon d'humilité.
Et les perdants sont: la poésie et l'art.
Pour que vous compreniez mieux mon propos: l'équipe de Québec (Annie Beaulac, Paul Dallaire, Jean Désy, moi-même) s'est faite torcher par Sherbrooke par le score de 150 à 130 (on n'est pas à un centième de point près). En comparaison, Gatineau à battu Montréal 154 à 151.
Il semble que pour espérer plaire aux jurys de ce Grand Slam, il eut fallu jouer à la pute de TVA, à s'allonger jambes grandes ouvertes pour se faire pénétrer d'un enchaînement de syllabes dont la poésie, la plupart du temps, était absente
(la plupart du temps, dis-je bien).Il y avait toutefois l'étonnant Mathieu Lippé, qui nous a transportés de Kyoto jusqu'en Birmanie en passant par le Vatnajökull. Il y avait Sophie et David (Sherbrooke) qui ont flirté avec la poésie dans trois slams époustouflants. Il y avait Mehdi et Guy (Gatineau) qui ont baisé les astroslameurs du monde uni. Il y avait 4 poètes de Québec peut-être trop... poétiques?
Et puis il y avait les autres.
Ceux et celles socialement inacceptables: intolérables vieux d'hospice déserté par ses enfants; inconcevables guéguerres en Afghanirakoslavie (une banlieue près de chez vous), les
Big Bad Mother Fucken States (l'origine même de l'originalité poétique et de l'engagement social) et les autres thèmes écologiquement et éthiquement corrects. Ou socialisme poétique?
Faut dire qu'avec un jury uniquement composé d'étudiants en art (philo, arts de la scène, etc.), je m'attendais à mieux.
Je ne m'attendais pas à ce que des sujets aussi racoleurs obtiennent la faveur du jury. Je ne m'attendais pas à ce que l'humour, le sensationnalisme, les effets spéciaux et autres populismes dament le pion à la poésie.
Il semble que pour obtenir une note décente à ce Grand Slam, il eut fallu favoriser le Revlon, le coup d'éclat, l'artifice. Car vous le valez bien.
La poésie, assise au bar où près de la console de son, devait être encore trop saoule ou occupée à se faire reluquer.
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En discutant après la compétition avec quelques amis, et m'étant remis de ma frustration slamesque, nous avons parlé de poésie. Pas à pelleter des nuages pour se construire un château de rimes, mais bien à tenter de la cerner. La poésie n'a plus de cadre. La poésie rime et ne rime pas. La poésie est prose et vers. La poésie est et n'est pas. Nulle part et partout à la fois. La poésie est faite, rien ne va plus.
Put your money where your rhyme is.La poésie se cache entre deux attentats-suicides et un accord de paix. Elle passe aux nouvelles entre les dents de Sophie Durocher. À 110%, elle est «pour» les batailles au hockey junior. Pendant les Gémeaux, elle crie haut et fort son écoeurantite face aux coupures des Conservateurs en culture. La poésie fait rimer «bateau» avec «château» à
Tout le monde en parle et sourit de sa trouvaille. Ah oui! Et la poésie tire sur des adolescents à coups de mitraillette sur YouTube, en Finlande, à la Polytechnique, dans une école près de chez vous. Une histoire vraie.
La poésie s'est transformée. Elle est partout.
Elle s'est staracadémisée. Comme Passe-Partout.
(Ben quoi? Faut que ça rime. Ah non? Mais la poésie c'est...)
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Tout cela m'a ramené à la première question qu'on nous a proposé au bac en Études françaises: qu'est-ce que la littérature? Je me rappelle vaguement avoir écrit un truc probablement ronflant sur l'art des mots, comme la musique est l'art des sons (première question posée en théorie musicale).
À l'université, j'étais choqué d'entendre les profs parler de la littérature et de ses sous-genres. Je trouvais le discours pédant. Mais plus aujourd'hui.
Pour toutes les écrivaines de romans à succès (aka Best Sellers), il n'y a qu'un
Danielewski. Pour tous les poètes engagés, il n'y a qu'un Loco Locass. Pour tous les slameurs bien pensants, il n'y a qu'une poésie. Inutile que la poésie pense bien, d'en faire une norme altermondialiste machin. La poésie normalisée...
I crack myself...La deuxième évaluation universitaire qui m'avait frappé, c'était celle qui consistait à défendre l'une des deux positions suivantes: l'art pour l'art (en s'appuyant sur un texte de Robbe-Grillet), et l'art engagé (basé sur un texte de Sartre). J'avais choisi la première proposition pour son caractère universel, trouvant que la deuxième (proposition) prostituait trop le caractère de l'art par sa temporalité, par son socialisme bourgeois, et autres démagogies idéologiques.
Malgré mon attirance pour les deux positions car, qui n'aime pas se faire mettre en bouche de temps en temps, et malgré que je n'aie que très peu d'affinités avec l'élite artistique, je n'ai d'autres choix que de basculer dans le camp du slam pour le slam, ne serait-ce que par désir d'entrevoir l'infini.
Qu'est-ce que la littérature, qu'est-ce que la poésie, qu'est-ce que le slam? Le slam doit-il être engagé pour être?
Écrivez-moi entre 7 et 10 pages à double intreligne en Times New Roman 12 points. Aucun retard ne sera accepté, même si une tuerie se déroule dans un hospice hébergeant des héros de la Deuxième Guerre dans votre quartier.