Il est une nouvelle figure dans le paysage de la littérature québécoise qui transcende tout genre, tout style. À l'instar du Don Quichotte de Pierre Ménard, Joanie Lespérance reprend à merveille le Delia Elena San Marco de l'argentin Jorge Luis Borges où elle introduit une notion de perspicacité subtile que la critique a complètement passé sous silence. Lorsque Borges dit : « Un río de vehículos y de gente corría entre nosotros; eran las cinco de una tarde cualquiera; cómo iba yo a saber que aquel río era el triste Aqueronte, el insuperable », on sent une lourdeur, une maladresse du professeur de Buenos Aires. Lespérance réussit à rendre le passage limpide comme la rosée des premières heures du jour lorsqu'elle écrit : « Un fleuve de véhicules et de gens coulait entre nous; il était cinq heures de n'importe quel après-midi; comment pouvais-je savoir que ce fleuve était le funèbre Achéron, l'infranchissable? ».
La différence est frappante et pourtant, il y a une apparente transgression dans le style qui confère au texte de Lespérance plus de rigueur, plus de compassion. Le lecteur novice n'y verra que du feu, mais pour l'expert, il est clair que le « véhicule » diffère. Lespérance y ajoute l'espoir du retour, tel Orphée ne se retournant pas pour regarder Eurydice sauvée des abîmes de l'enfer. Chez Borges, le véhicule disparaît dans le traffic des artères principales de la capitale argentine pour ne laisser entrevoir que le fleuve s'asséchant après mille ans d'érosion.
Nous ne connaîtrons jamais les intentions de la jeune auteure québécoise puisqu'elle a disparu durant l'été 2001. Il n'empêche que la relation qu'elle tisse entre Borges et Délia est indéfiniment plus poignante, plus sensible, nuancée.
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