21.4.09

De Perec à Phaneuf ou l’art du name-dropping

«Super génial trop top inouï trop beau groovy trop frais cheesy classieux stylé ok funquy trop drôle samedi trop cool extra sympa puissant dément piscine villa champagne taxi hifi dolby botox glamour sexy crazy» -- Katerine, 100% V.I.P.

En m’intéressant au twitteroman, vous savez ces romans écrits dans Twitter, j’ai découvert le blogue de Thierry Crouzet, un auteur qui, jusqu’à ce qu’il se mette à l’écriture d’un « twiller » (un thriller écrit avec Twitter), avait écrit deux livres sur a génération Internet, si on veut résumer.


Rien de très littéraire.


Hors, dans une entrevue, il cite ses inspirations pour l’écriture de son twiller. Les auteurs du Nouveau Roman et de l’Oulipo : Piaget, Perec, Simon, etc.


Donc, lors d’un passage à la bibliothèque du coin – qui est très pauvre, en passant, et où je trouve rarement ce que je trouve, déplorable – je ne trouve qu’un livre de ces trois bonzes de la littérature. Un curieux ouvrage d’une centaine de pages, soit Un Cabinet d’amateur de George Perec.


Ce cabinet d'amateur, dont le livre tout entier est l’objet, est une peinture d’Heinrich Kürz (1913) qui « représente une vaste pièce rectangulaire, sans portes ni fenêtre apparentes, dont les trois murs visibles sont entièrement couverts de tableaux. ». C’est grâce au collectionneur Hermann Raffke que le bon peuple découvre cette œuvre pour le moins fascinante, qui contient nombre de peintures célèbres reproduites en minuscules. Perec expose ensuite son érudition, en plusieurs longues énumérations de critiques, de peintres et de marchands d’art :

« (…) une longue étude concernant le tableau de Kürz parut dans une revue d’esthétique passablement confidentielle, le Bulletin of the Ohio School of Arts. L’auteur, un certain Lester K. Nowak, intitulait son article « Art and Reflection ». « Toute œuvre est le miroir d’une autre », avançait-il dans son préambule : un nombre considérable de tableaux, sinon tous, ne prennent leur signification véritable qu’en fonction d’œuvres antérieures qui y sont, soit simplement reproduites, intégralement ou partiellement, soit, d’une manière beaucoup plus allusive, encryptées. Dans cette perspective, il convenait d’accorder une attention particulière à ce type de peintures que l’on appelait communément les « cabinets d’amateur » (Kunstkammer) et dont la tradition, née à Anvers à la fin du XVIe siècle, se perpétua dans défaillance à travers les principales écoles européennes jusque vers le milieu du XIXe siècle. »

Pour préciser la nature de ces cabinets, le fameux Nowak énumère les plus célèbres d’entre eux, dont la plupart des noms de peintres possèdent une consonance hollandaise : Willaerts, Van Haecht, Van Dyck, Wildens. Le néophyte en peinture, jusqu’ici, n’y voit que du feu. Car le principe même de la prose de Perec est de mélanger réalité et fiction en un parfait alliage de faux-semblant. D’apparence savante et raffinée, ces énumérations ne sont que poudre aux yeux, un exercice de name dropping pour épater la galerie.


Toujours selon Nowak, le tableau de Kürz serait une véritable histoire de la peinture : « de Pisanello à Turner, de Cranach à Corot, de Rubens à Cézanne ». Or, le 2 avril 1914, le collectionneur Hermann Raffke est trouvé mort. Et le testament de ce dernier rappelle étrangement les énumérations à n’en plus finir de Nowak.


Plus l’intrigue avance, plus Perec s’en permet, allant jusqu’à attribuer à Henri Pontier l’habitude de finir les chansons par « tagada tsoin tsoin! ». Mais il contrebalance ces exemples loufoques par d’autres plus crédibles comme le Portrait du marchand Martin Baumgarten de Hans Holbein le Jeune. S’ensuit une description de la carrière du marchand de Baumgarten, parcourant la péninsule arabique, l’Allemagne, ses années à Londres, etc., pour brouiller les pistes, pour faire oublier aux lecteurs que ces détails sont peut-être faux…


Puis, des phrases qui surprennent : « De vives controverses se sont élevées au sujet de l’auteur de ce tableau dont la perfection formelle dégage un sentiment de sérénité presque insupportable. » Et des anecdotes rigolotes : « MM. Gawdy et Raffke arrivèrent au 37 de la rue Victor-Macé vers onze heures du matin, visitèrent l’atelier, et emmenèrent ensuite Degas manger quelques huîtres de Colchester à la Maison Dorée. » ce qui jure complètement avec l’érudition apparente du bouquin.


Perec nous guide vers la lumière lorsqu’il affirme que « la deuxième œuvre n’existe pas, ou plutôt elle n’existe que sous la forme d’un petit rectangle de deux centimètres de long sur un centimètre de large, dans lequel, en s’aidant d’une forte loupe, on parvient à distinguer une trentaine d’hommes et de femmes se précipitant du haut d’un ponton dans les eaux noirâtres d’un lac cependant que sur les berges des foules armées de torches courent en tous sens. »


Et le pinacle : « et un très étonnant Voyage au centre de la Terre, d’Eugène Riou, une des rares peintures de cet artiste surtout réputé comme graveur et illustrateur (2 500 $).


Mais voilà que, ô surprise, je trouve des traces de cet Eugène Riou! Un certain Bernard Piton, auteur de Le Voyage d’agrément de Jean-Luc Cheval, relate la visite qu’a faite ce monsieur Cheval chez un collectionneur où il y aurait trouvé deux toiles d’Eugène Riou, dont l’une retint plus particulièrement son attention. Il s’agissait d’un tableau de format moyen mettant en scène l’un des épisodes du Voyage au centre de la Terre de Jules Verne.


Bernard Piton serait-il un habile faussaire?


Et Marc-Antoine K. Phaneuf dans tout ça?


Qui?


Un poète québécois qui en a surpris plusieurs avec ses Téléthons de la grande surface que j’ai acheté au Salon du livre de Québec parce qu’à ma bibliothèque et à la librairie de mon bled, ben faut le commander, ça arrive pas « par défaut ».


Un ami m’avait parlé de l’utilisation de la « liste d’épicerie » en poésie. Pas pour rien que le sous-titre du recueil soit Listes, poésie, name-dropping,


Et comme chez Perec, on se laisse prendre au jeu. Dans un des poèmes, L’agence de mannequins, il énumère, à priori, de très belles femmes : Vahina Giocante, Scarlett Johansson, Audrey Tautou. Mais il y a aussi plusieurs clins d’œil à des personnes moins connues – pour ne pas dire inconnues – ou moins belles, comme Rrose Sélavy (un personnage fictif créé par Marcel Duchamp), le chanteur Katerine, et Sushiwhore Skywalker, qui est peut-être la sœur de Luke, mais lorsque j'ai tweeter à ce dernier, il m’a envoyé un message direct me disant « je cherche mon père ». J’ai abandonné.


Idem pour le poème Au pet shop, où Phaneuf énumère des animaux domestiques : un poisson rouge, une tortue, un hamster; pour ensuite délirer un peu plus en ajoutant au mix La Poune déguisée en E.T., une bunny Playboy, etc.


En écoutant Katerine en background qui chante 100 % VIP, on est en voiture.



1 comment:

Bobby California said...

Y a pas seulement Riou. Dans «Le Voyage d’agrément de Jean-Luc Cheval», on retrouve aussi Dolknif Schlamperer, copié presque à la lettre («le fils d'un marin qui avait péri dans le naufrage du Pourquoi pas») et Horvendill Lautenmacher, lui aussi «médiocre élève de Charles Haeberlin», comme chez Perec...