30.1.07

LivEvil2K — Aube, prise VIII

The Ceremony Is About to Begin : journal de Maïté

PC, on laisse tomber la formalité du Mr. après deux Glenfiddish, trois rousses, une noire, deux brunes, pas de blonde; les blondes, c'est pour les mâles dont la peur de l'infériorité intellectuelle est incommensurable. Bref, PC glisse Steamin' de Miles Davis dans le lecteur de DC, et fait propulser des haut-parleurs une de ces balades qui me rendent mélancolique, qui me font envier tous ces gens qui ont vu, entendu, ressenti la puissance du Miles Davis Quartet live. Something I Dreamed Last Night. Bill Evans solo si bien, personne ne parle, tout le monde écoute ce virtuose des touches noires et blanches. On se laisse emporter par ce flot de délicatesse mortuaire qui fait de nous de vulgaires mortels, tandis que cette musique coule éternellement dans nos oreilles et atteint les sens les plus cachés de chacun.



À mesure que Gerry claque des doigts, Manú s'excite et, tranquillement, se dévêt, arborant maintenant son plus simple apparat, lequel j'admire béatement depuis environ cinq minutes. Une transe s'empare de Manú qui, dansant telle une tulipe sous une averse de torrentielle pluie, provoque un déhanchement collectif, une tribale valse désarticulée où tous nos membres, désaxés, se meuvent en toute place, occupant tout l'espace oxygéné de ce loft du fin fond de l'Alberta. Gerry gémit au plus grand plaisir de PC, lequel grogne en ma direction; je masturbe habilement Manú qui, extasiée, se laisse aller au délire le plus total. La pudeur en prend pour son rhume.

Avant de s'euphoriser dans le plaisir charnel qui consiste à se fondre l'un dans l'autre dans l'autre dans l'autre - PC fait tournoyer un chapeau de cow-boy qu'il fait virevolter à proximité de mes seins; je m'éclipse dans le cerceau de la perversité outrancière, l'orgasme à la portée de la main; Gerry empoigne sauvagement ma poitrine, déchiquetant mes mamelons comme jamais auparavant je n'avais senti la pleine exubérance de l'amour sans retour —, Manú, collée aux hanches de Gerry, ne se contrôlant plus, lâche un maintnow retentissant qui nous fait tous crouler au plancher, comme des êtres nus devant un projecteur cinéma.

Un corridor, large de neuf longueurs de lance, mène à une porte. PC et Manú l'ouvrent. Ce semble routinier, ce n'est pas la première fois qu'ils initient de la sorte de purs étrangers, voire des amants passagers. Diane, extraite de Steamin' with the Miles Davis Quintet, résonne partout dans ce couloir. Une ambiance propice au vice se crée tranquillement, portée doucement sur le flot trompettesque de l'instrument du grand Miles lui-même. Le leitmotiv se répète incessamment, immédiatement dans cette atmosphère de fête champêtre exagérément alcoolisée. Gerry et moi avons suivi les deux gourous de la soirée, innocemment, sans trop faire attention aux burlesques détails (le projecteur de cinéma, les quatre fauteuils).

Prise deux. La porte refermée derrière nous, nous attendons que le show commence.

«The ceremony is about to begin», s'esclaffe PC d'un puissant cri primal, primitif, intuitif, avec conviction. «Avant de nous laisser aller à l'extase la plus sublime, écoutez le grand oracle déclamer un de ses plus beaux chants d'amour». D'une seule voix, Manú et PC déclament :

Le cerveau défoncé, grugé par la faim, les munchies, CMR s'apprête à commander le mets tant réclamé par son estomac, une pizza. Au carrefour des rues Côte-des-Neiges et St-Kevin se situe le célèbre Pizza 2=1. à l'achat d'une small all dress, il en obtient gratuitement une seconde, tout cela pour 9,99 $. De plus, le charmant propriétaire lui donne deux boissons gazeuses, en l'occurrence deux Coke. Le commerce, à moitié vide, se compose d'une clientèle disparate : un gros Italien, la bouche emplie de fumée du mauriène, une barbie aux talons haut douteux, à la conversation niaise, et un jeune Mexicain, Pepsi en main.

Le tenancier l'interpelle :

— Salut mon ami, qu'est-ce que j'peux faire pour toi?
— Deux small all dress, man.

Affamé. Vingt-trois heures 20. Son chum l'attend depuis déjà vingt minutes. Peut-être seriez-vous tenté de lui dire : «C'est pas grave, relaxe man». Mais non, à ce moment précis, la situation, critique, l'exaspère. La radio, branchée sur la radio énergie, tonne un rythme agressant, aliénant par sa monotonie répétitive : This is how we do it, boom, boo-boom-boom-boom, boom, this is how we do it baby. Le goût de hurler shut the fuck up! lui prend soudain. Mais, bienséance oblige, il s'abstient de déranger les clients de l'établissement.

Doit-il se rabaisser, les oreilles désorbitées, à laisser régner en tyran ces monopolisateurs des ondes? Dépassé par la nouvelle génération? Trop vieux? Sénile? Il n'en croit rien. Les goûts et les couleurs se discutent. Tous les goûts se trouvent dans la nature, dites-vous. Certaines gens, dénaturées, bêlent sans cesse, répètent toutes en choeur, y'a pas d'job, man. Malheureusement, le Big Boss Man, que vous appelez Temps, s'impose.

Souhaite-t-il vraiment discuter avec cette rapace à moustache adolescente, à talons aiguilles ridicules, à l'haleine épicée? Préjugés raciaux? Non, vous lisez mal l'énoncé. Plutôt, il traite du développement de l'être humain, voilà tout. Sage, CMR ne déverse pas sa logorrhée verbale, ne se risque pas en ce territoire de pédagogue, voire d'enseignant, lorsque son adversaire se trouve acculé au mur, désarmé. Au fin fond de lui, il se contrefout du tact. Mais, vu l'heure tardive, il oubliera, pour ce soir, l'élaboration de sa philosophie à propos du genre humain et de ses sous-genres.

Ici, il tente d'exprimer que ses pizzas tardent à cuire, qu'il est pressé, stressé, oui oui. Tout à fait d'accord, son amoureux, le seul affecté, affection de son monde, l'attend il désire le rejoindre le plus pressément possible, gloutonner avec lui, ne pas le décevoir une fois de plus.

En tant qu'ex-cleptomane, il vérifie le système d'alarme, les caméras : absence.

Le téléphone sonne. Le propriétaire se précipite, telle une balle de calibre 12, au secours de l'alarme téléphonique. Un jeune Arabe, dans la vingtaine, s'introduit dans la pizzeria. Un serveur se lance à sa rescousse culinaire, gastrique. Le jeune Arabe (nous l'appellerons Amir) commande une pointe all dress ou végétarienne, il s'en balance. Leur langue de communication empêche notre héros de comprendre ce qu'ils disent : ils rient, ils s'amusent. Et pendant tout ce temps, les pizzas de notre risque-tout ne fricotent pas. L'impatience atteint son comble rapidement. Après cinq longues minutes, le propriétaire lui fait ses excuses : un interurbain d'Arabie Saoudite.

Essayant de l'émouvoir de son fendant sourire, le hardi CMR lui demande s'il peut emprunter son téléphone, question d'appeler son chum. Il lui répond que oui. Alors que le téméraire s'apprête à traverser l'inconnu, à se mêler aux cuisiniers, un flash surgit dans l'esprit de ce surhomme : «Yé malade! R'garde moé l'allure! Un coat de cuir brun, long jusqu'aux genoux, une casquette par-dessus 'es yeux, un chandail de Woodstock qui pue la bière, la cigarette, le pot, c'est quoi son crisse de problème!», se dit-il intérieurement.

Visionne-t-il trop de films américains? Le drapeau bleu blanc rouge bordé d'étoiles serait-il tatoué sur son coeur? Le mythe du tueur en série, médiatisé à outrance, dépasserait-il sa fiction?

Comme à son habitude, il ne pense pas, il agit. Le canon de son douze brûle sous mon manteau. Il sent les balles, impatientes, destructrices. Il imagine l'air désemparé de ces pauvres immigrants, leur gagne-pain détruit par un désaxé, un famélique insatisfait, perturbé par l'espace-temps, coincé entre les identités québécoise et américaine, assoiffé de sang comme un chacal en plein désert. Il téléphone à Paul.

— Salut Ti-Paul, ça va.
— Ah oui, quand est-ce que t'arrives?
— Dans cinq minutes, les pizzas s'en viennent, ciao.
— J't'aime.
— Moé 'si j't'aime, mon ourson en p'luche rose.

Son pizzaman préféré lui sourit, tout va bien, quelle belle vie! semble-t-il dire de ses astronomiques armillaires, subjuguant ses moqueurs de yeux. Les lèvres de notre colosse casse-cou esquissent un léger tremblement puis, retirant son pardessus, il découvre son «cauchemarme». Une ribambelle de paroles, qu'il ne comprend pas, déferlent en sa direction. Des yeux apeurés prient son regard.

The Antichrist is in the house.

Les clients, le serveur se cachent sous les tables, derrière le comptoir. Il prend ses pizzas, enfin cuites, ses deux Coke, laisse l'argent dans le tiroir-caisse, croyiez-vous vraiment que cela l'intéresse? Il tire sur le propriétaire, droit au coeur. Et vous de lui dire : «Chill out man! The way I see it, change le poste d'la radio, ça va t'changer 'es idées». Suivant votre conseil, il syntonise le poste le plus à gauche : Will I live tomorrow, well I just can't say, but I know for sure, I don't live today.»

Jamais nuit ne fut plus mémorable.

LivEvil2K, work-in-progress
© 1996 - 2007 LeRoy K May
Copyleft LeRoy K. May

6 comments:

Nina louVe said...

Et de un, merci pour la musique. Me souvenais plus combien elle me plaisait Tori Amos. (belle partout la bella rousse)

Le texte, SuperK, my Hero Gazoline, du "maintnow" tout le long !!! Jamais rien de prévisible icitt, et ça, c'est fort bien joué.

Tes phrases goûtent la vie, LIVE ! en carpe diem.

Punch au coeur punch go non stop flashs rut, brut sans point à la ligne.

Dilissiouss.

Christian Roy, aka Leroy said...

Cette version de Smells like teen spirit est hallucinante, je me souvenais vaguement de cette version. Merci RadioBlogClub!

Merci, merci, mais c'est pour ça que c'est un work-in-progress : je suis toujours en train de retoucher ceci et cela. C'est fatigant...

Nina louVe said...

Bin non, pas fatiguant, jouissif. Prends-le du bon bord de la marge. La retouche c'est reVivre, peaufiner c'est dire More Again Encore Come... comme quand c'est bon.

Christian Roy, aka Leroy said...

Oui, mais quand ça fait plus de 10 ans que t'es sur qqchose, c'est chiant!

En le republiant, j'ai retrouvé mes p'tits défauts de style, que je reformulerais bien, mais bon, j'aime mieux écrire que réécrire.

Nina louVe said...

cébon sign caveudir que danslavi
danslavidalocabella tupré ferlà àhierz

Nina louVe said...

je te fais l'audio maintnow
live from this matin de Pâques