Kor Griffè
— (...) Et dehors ?Large de neuf longueurs de lance, le couloir débouche sur une porte. Quel couloir, me manderez-vous ? Un couloir, that's all man. Il est indescriptible, il n'est qu'imaginable ou visualisable, rêvé, voire cinématographique. Il est ample, il est facile d'y manoeuvrer, il est ample, on pourrait dire qu'il y a une ample marge de manoeuvre pour y circuler, ce qui permet un certain va-et-vient entre les deux murs, parallèles.
— Dehors ?
— Dehors ! de l'autre côté de ces murs ?
— Il y a un couloir.
— Et au bout du couloir ?
— Il y a d'autres chambres et d'autres couloirs et des escaliers.
— Et puis ?
— C'est tout.Jean-Paul Sartre
Susurré dans le couloir, Ell&Il entend Dawn : le Mahavishnu Orchestra se prépare à faire crouler le toit. Un rythme effréné l'emporte vers le nord ; l'issue ou la porte, laquelle notre quidam meurt d'effroi, d'envie d'ouvrir. Ell&Il oscille, se rapplombe, perd l'équilibre et se précipite vers la poignée de porte qu'il tourne vers la droite, d'un mouvement sec, saccadé. Ce qu'il y a derrière cette porte, il se le demande, tout autant que vous. Il l'entrouvre puis la referme. Les membres du Mahavishnu Orchestra, comme s'ils étaient là, sur place, entrent en transe, alternent les solos, de la guitare au violon et à l'orgue, de John McLaughlin à Jerry Goodman et à Ian Hammer. Et le leitmotiv, que l'on se borne à appeler mélodie, se répète incessamment en trame de fond.
Prise deux. La grille s'ouvre, laissant poindre un latent filet d'aveu-glante lumière. Trois fauteuils vides. Gros plan. Un projecteur, un écran géant. Deux sujets endormis par terre.
Sur un beat hip hop, les personnages, projetés à l'écran, scandent :
— I don't THINK you'll FIND what you been lookin' for asshole.
— Oh yeah?
— Yeah.
— Fine, be that way bitch.
— Only WAY you'll FIND it zif you REALLY go through.
— Go through what?
— It. Yeah, IT.
Quasi neurasthénique, Ell&Il s'assoit et murmure le dialogue qu'il vient à peine d'entendre. Sobre en paroles, il le repasse muettement, secrètement, dans le labyrinthe de sa mémoire : I don't think you'll find what you been looking for asshole oh yeah yeah fine be that way bitch only way you'll find it zif you really go through go through what it yeah it. Il le fredonne sur tous les temps imaginables (3/4, 5/8, 7/4, etc.). Ell&Il déconstruit le rythme, le rebâtit, regroupe les phonèmes, les noires pointées, les sujets. Ah ! Non. Peut-être. Pas vraiment. Mais si, non, ce serait trop simple...
Langoureusement, les deux corps alanguis, étendus par terre, se réveillent, revêtent leurs fringues : ils ne constataient pas leur dénuement. Ils se regardent, avides de paroles. Une seconde mineure harmonise leurs voraces voix qui, goulues de dodécaphonie, déclament à tue-tête :
Ah !
Que la mosaïque couvrant mes globes oculaires s'estompe.
Nus et beaux, abreuveront-ils ma connaissance assoiffée,
[assouvie d'incertitude ?
Ce balconnet, cette incrustation de dentelle, bustée
[sur un édredon de satin,
lequel les bercent entre les faux murs d'un chimérique
[théâtre...
Pourquoi ce titanesque étalage languide,
et pourquoi m'appelles-tu de ton unique doigt,
[vision d'accalmie,
et pourquoi ce quidam, étouffé dans son rire, éreinté
[dans sa joie, traduit-il mon amour ?
Ell&Il croyait chercher l'or du temps, la fracture où l'homme devient vieux-jeu à son insu, par une tendance à l'ultramodernisme. Peut-être eût-il été tenté d'asseoir la vision d'accalmie sur ses genoux, mais tout lecteur averti le lui aurait interdit, sachant bien qu'il l'aurait trouvée amère. Contrairement à ce que vous pourriez penser, il n'est pas ici question de trancher entre le bien défunt et le mal à la mode, de flairer une immanente vérité and all that blah-blah-woof-woof. Nous recherchons plutôt la division entre le charme et l'ennui. En pleine grisaille d'or, il l'est : ne l'êtes-vous pas ?
Derrière la porte, il n'y avait pas grand-chose d'intéressant, si ce n'est ces deux êtres éperdus de sommeil qui, se réveillant, s'amourachent à la vie, la poétisent et la rendent, à leur yeux, plus belle. Mais encore ? Justement. Entendez-vous l'écho des pas perdus qui perdure sur les murs du corridor ? Large comme une lame de rasoir, la porte, derrière Ell&Il, assurément, se referme.
LivEvil2K, work-in-progress
© 1996 - 2007 LeRoy K May
Copyleft LeRoy K. May
1 comment:
AUBE
Délicious hero gaz. Wèrri Diliciouz.
Keep going
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